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«Pendant neuf ans, on n'a jamais perdu chez nous ! On vivait une époque formidable avec Sangalli, Viard, Codorniou, Pariès et toute la famille Spanghero...» L'enthousiasme de Jo Maso quand il évoque ses souvenirs passés à Narbonne tranche avec la grande tristesse qu'il ressent depuis la relégation officielle du club en Fédérale 1, le 16 mars dernier : «On prend le chemin de Bourgoin, Lourdes... Ces grands clubs mythiques éteints par les difficultés.» Après une saison cauchemardesque (six victoires en vingt-neuf matches), le Racing quitte donc pour la première fois de son histoire le rugby professionnel. «Je n'arrive pas à réaliser. C'est de le voir écrit dans les journaux qui m'en fait prendre conscience», souffle Romain Manchia, capitaine cette saison, narbonnais depuis cinq ans.
Le classement de la Pro D2
Comment ce club historique, descendu en Pro D 2 en 2007 après cent ans passés en Première Division, a-t-il pu tomber aussi bas ? Certes, il y a eu d'importants départs : Vincent Rattez, Huia Edmonds, Étienne Herjean, Gregory Fichten, Christopher Ruiz... Et, depuis 2011, pas moins de treize entraîneurs se sont succédé. Bien sûr, Narbonne présentait le cinquième plus petit budget de Pro D 2 (5,52 millions d'euros). Mais, de l'aveu de tous, c'est la parenthèse Rocky Elsom qui a largement contribué à faire sombrer le RCNM.
En 2011, alors que le club déplore un déficit d'un peu plus d'un million d'euros et est menacé de relégation administrative, il est racheté par d'anciennes gloires australiennes dont Bob Dwyer via une société, FG Management. À l'époque, le mélange se fait plutôt bien. Symbole de ce métissage, sur le terrain, la charnière est composée d'une vedette des Wallabies, Josh Valentine, et d'un joueur du cru, Christopher Ruiz. En 2015 et alors qu'il est encore joueur au club, Rocky Elsom, ancien troisième-ligne international australien (75 sélections entre 2005 et 2011), s'entend avec FG Management pour prendre la présidence : «Il y a eu un passage de pouvoir obscur, ils se sont arrangés entre eux», se souvient Jacques Pairo, adjoint aux sports à la mairie. Gilles Belzons, ancien troisième-ligne et figure forte de la ville, admet : «Je connais l'histoire de mon club par coeur. Mais la passation de pouvoir avec Elsom, je suis incapable de vous la raconter. Personne ne sait comment ça s'est fait.»
Pour une somme inconnue mais qu'on sait dérisoire, Elsom rachète le club, devient joueur, président et parfois entraîneur : «C'est lui qui faisait les équipes. C'était notre président et on le voyait passer les contrôles antidopage avec nous», se rappelle un joueur. La communication opaque de l'Australien ne passe pas et cristallise autour d'elle d'énormes tensions. Une lutte de pouvoir s'engage, les serrures de certains bureaux sont changées, la photo des champions de 1979 est enlevée.
«Chaque année passée loin de la Pro D 2 sera une petite mort pour le club» - Gilles Belzons, ancien joueur de Narbonne
«Il a été convoqué plusieurs fois à la mairie, j'ai le souvenir de rendez-vous musclés», admet Jacques Pairo. Mais Elsom veut faire à sa façon. Il recrute d'anciens grands joueurs comme Piri Weepu, arrivé en 2016 de Saint-Sulpice-la-Pointe où il jouait en Division Honneur après son licenciement d'Oyonnax. À Narbonne, il ne sera inscrit que neuf fois sur la feuille de match (une titularisation) pour un peu plus de 10 000 euros par mois : «Ce qui a plombé les comptes du club, ce sont les salaires mirobolants de certains joueurs», estime Pairo. Petit à petit, la ville réussit à réunir des partenaires narbonnais et finit par écarter Elsom, qui quittera la région avec un certain sens de la dramaturgie : «En ville, la rumeur dit qu'il aurait jeté le matériel vidéo dans l'Aude et qu'on aurait retrouvé sa voiture au milieu de nulle part», confie un proche du club. Encore aujourd'hui, personne ne sait où se trouve Rocky Elsom. Contacté par mail, l'ancien troisième-ligne n'a pas donné suite à notre demande d'entretien.
Bernard Archilla, le président successeur, déplore : «Quand je suis arrivé, le club était ruiné. L'accord a été passé le 5 juillet 2016 et la nouvelle gouvernance est arrivée le 7. Le 6, des centaines de milliers d'euros ont disparu (environ 450 000 selon nos informations).» Pendant un an, Archilla fait du juridique, injecte un demi-million d'euros et le club lance deux procédures (toujours en cours) pour abus de biens sociaux. À un moment, la tentation de repartir de zéro en passant par la Fédérale 1 se pose : «On a préféré rester en Pro D 2 et se battre. Je ne regrette pas cette stratégie. Elle était voulue par tout le monde», clarifie Archilla. Cette année en Deuxième Division sera celle de trop. «Je pensais que le Racing sortirait la tête de l'eau, mais l'alchimie n'a pas eu lieu. C'est dur de les voir sombrer», confie, touché, Étienne Herjean, ancien capitaine narbonnais, désormais à Brive. De l'avis de tous, pourtant, cette issue devait finir par arriver à force de replâtrer plutôt que de reconstruire.
Afin de pouvoir tirer un trait sur toute cette période, il semble que le dépôt de bilan soit la meilleure option pour le club. Elle permettrait de rompre ces contrats mirobolants, comme ceux des anciens All Blacks Hosea Gear ou Neemia Tialata. Le 5 avril, la démission du président Archilla a été actée : «Depuis juillet 2016, j'ai donné ma vie à ce club. Quelque part, je me sens trahi (long silence). J'ai le sentiment d'un immense gâchis. Je me suis trompé parfois, je l'admets, mais il fallait faire des choix.» Derrière son comptoir aux Halles de la ville, Gilles Belzons, l'ancien joueur du club, conclut, fataliste : «Il faut mettre tout le monde dans une pièce, qu'ils se disputent un bon coup et qu'ils repartent sur un projet sain pour remonter vite. Chaque année passée loin de la Pro D 2 sera une petite mort pour le club.»