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Pour mieux accompagner ses jeunes joueurs et endiguer des débordements devenus trop fréquents, l’Association des Joueurs de Rugby Fidjiens souhaite s’implanter en France et mettre en place un meilleur suivi pour ses expatriés et cadrer le système des transferts.
Le compte à rebours est bientôt terminé. Sur le papier, le deuxième ligne de l’US Dax, Ratu Nacika, n’a plus qu’une semaine pour partir de France. Visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), qui lui a été adressée par la préfecture des Landes le 10 octobre dernier après sa condamnation à un an d’emprisonnement avec sursis pour des faits "d’agression sexuelle par une personne en état d’ivresse manifeste" survenus en octobre 2024, le Fidjien se retrouve dans une situation inédite.
C’est la première fois qu’un rugbyman professionnel, évoluant dans le championnat français, est sommé de s’en aller. Il s’est attaché les services d’une avocate spécialisée en droit des étrangers pour l’accompagner et déposer un recours afin de contester cette décision. Son actuel employeur, l’US Dax, auquel il est lié jusqu’en 2027, est en train d’étudier les conditions d’un protocole de sortie. En l’état actuel des choses, Nacika ne peut plus exercer le métier pour lequel il est rémunéré et son contrat pourrait être rompu. "Le club s’interroge sur le caractère de force majeure d’une décision irrésistible, imprévisible et extérieure au contrat de travail du joueur, explique Maître Christophe Cariou-Martin, l’avocat de Dax. Le club ne peut que constater le retrait de la licence par la Fédération Française de Rugby et accompagner au mieux le joueur dans le cadre de son maintien en forme pour l’avenir. Le club a parfaitement conscience que cela constituera un précédent. Le club a une grande pensée pour toute la communauté fidjienne du Top 14, qui est extrêmement dévouée et pour qui ce genre d’événement apparaît comme extrêmement sévère pour des hommes qui sont très respectueux, y compris dans l’amendement lorsqu’ils commettent des erreurs."
Il y a dix jours, l’ancien international fidjien Sisa Koyamaibole, particulièrement impliqué dans le soutien des joueurs en France, s’est rendu dans les Landes pour échanger avec les dirigeants de Dax et rencontrer Nacika. "Je lui ai rappelé que la loi, c’est la loi, qu’il faut la respecter, et que la meilleure des solutions, pour lui, était de partir. C’est une chose qu’il a acceptée, glisse l’ex-numéro 8. Cette OQTF ? C’est, malgré tout, un bon message pour les Fidjiens qui jouent en France. Ça leur rappelle qu’ils doivent montrer une bonne image publique. Ce sont des joueurs professionnels et ils sont traités de manière professionnelle. Il faut que ça serve de leçon."
Plusieurs incidents ces dernières années
À 17 000 kilomètres plus au sud, aux Fidji, le sujet est aussi pris très au sérieux. "Nous ne tolérons absolument pas le comportement que Ratu Nacika a eu, pose d’emblée Ilivasi Tabua, le président de Fiji Rugby Players’Association (FRPA). Ceci étant dit, nous allons chercher comment nous pouvons l’accompagner et trouver une solution pour lui." Une option actuellement à l’étude serait d’échanger avec les dirigeants des Fijian Drua pour voir si la franchise professionnelle peut lui proposer un contrat, afin que le Dacquois puisse poursuivre son métier, dans le cas où le recours lui permettant de rester en France serait rejeté.
Sisaro Koyamaibole est impliqué dans le soutien des Fidjiens en FranceSisaro Koyamaibole est impliqué dans le soutien des Fidjiens en France Manuel Blondeau / Icon Sport - Manuel Blondeau
Les membres de l’organisme présidé par Ilivasi Tabua et approuvé par la Fédération fidjienne de rugby, en mars 2025, pourraient être impliqués dans les discussions. "Le but de notre association, reprend Tabua, est de réfléchir à un système que l’on pourrait mettre en place pour aider au mieux nos joueurs." Lorsqu’ils se retrouvent dans une situation difficile, mais pas que. "10 à 20 % des jeunes formés aux Fidji finiront dans un environnement professionnel, poursuit-il. Le rugby a changé et nous voulons les aider pour qu’ils soient dans un contexte propice, sur et en dehors du terrain. Ce sont des sujets que l’on évoque avec le ministère et Fidji Rugby." Ces dernières années, plusieurs joueurs fidjiens ont été mêlés à la justice pour divers incidents, le plus souvent sur fond d’alcoolisation massive. En novembre 2024, deux joueurs de Dax ont été placés en garde à vue, puis condamnés, pour des faits "d’agression sexuelle" (Ratu Nacika) et de "violence" (Ratu Nacika et Jope Naseara) après une virée nocturne dans les bars de la ville. En mai 2025, Masivesi Dakuwaqa a été condamné à de la prison avec sursis pour avoir mordu la joue de Pierre Pagès, lors d’une soirée qui s’est déroulée cinq mois plus tôt, alors qu’il portait les couleurs du Biarritz olympique. "Lorsqu’une affaire éclate, on se demande, aux Fidji, pourquoi le joueur fait une chose pareille, soupire Tabua. Il gâche une opportunité qui lui est offerte. En tant qu’association, nous voulons que les joueurs, en France et ailleurs, comprennent qu’aujourd’hui ils sont considérés comme des figures locales. Ils représentent leur pays, leur peuple. Les débordements ne donnent pas une bonne image de notre communauté."
Mieux préparer et cadrer les départs
Ilivasi Tabua et ses équipes ne sont pas magiciens. Depuis les îles Fidji, ils ne peuvent évidemment pas surveiller et contrôler le comportement de tous les joueurs évoluant actuellement dans les divers championnats en Europe. Les Fidjiens ne sont, d’ailleurs, pas les seuls à dépasser les bornes. Ces dernières années, bon nombre de joueurs, qu’ils soient français ou étrangers ont été épinglés par la justice, mais aux Fidji, on pense qu’un déracinement parfois brutal, une certaine solitude et l’absence d’un cadre familial sont autant d’éléments qui font perdre pied.
Pour essayer de mettre fin à des débordements récurrents, "FRPA" veut sensibiliser, à la base. Et mieux préparer les jeunes avant le grand départ. "Le choc culturel est immense", sait Sisa Koyamaibole. "Il y a des choses à mettre en place pour présenter au joueur quelles sont les coutumes et la culture de l’endroit où il va signer. Le but, c’est qu’il connaisse l’environnement dans lequel il va débarquer", avance Tabua. Le patron de "Fiji Rugby Players’Association" aimerait, aussi, tout savoir des joueurs sur le départ. "La plupart des jeunes ne sont recrutés que pour leurs qualités rugbystiques, mais aujourd’hui, le jeu moderne a besoin de personnes qui réfléchissent, rappelle-t-il. Il faut des joueurs intelligents et disciplinés. Nous voulons que nos jeunes ne soient pas seulement considérés pour leurs compétences rugbystiques, mais aussi pour leurs compétences globales. […] Il y a deux mois, lors d’un symposium sur le rugby, j’ai parlé de l’importance des données. Nous voudrions disposer de données sur tous les joueurs, y compris ceux en formation, non seulement sur leurs performances rugbystiques, mais aussi sur leur parcours scolaire, leur état de santé, leur environnement et leur situation familiale."
L’an passé, un jeune Fidjien, tout juste majeur, arrivé dans un club de Top 14 pour évoluer avec l’équipe espoirs, a été poussé vers la sortie après seulement quelques semaines en raison d’un comportement inadapté. Très talentueux, il a, depuis, rebondi ailleurs, mais végète toujours dans la catégorie espoirs. Quelques mois plus tôt, il venait de perdre sa maman. Dans un tel contexte, était-il vraiment prêt pour quitter sa terre natale ? "Nous ne sommes pas là pour bloquer, mais pour mieux réglementer", répète l’Association, qui souhaiterait également voir dans quelles conditions un joueur s’apprête à rallier l’Europe. "Nous voudrions examiner le contrat du joueur, le soutien qu’il aura dans le club, quel parcours scolaire il suivra, et si celui-ci sera en lien avec les études qu’il faisait aux Fidji", se projette Tabua. Et pour scruter si les conditions proposées au départ sont appliquées, une filiale de Fiji Rugby Players’Association en France (FRPA France) est censée voir le jour courant novembre. En cours de rédaction, les statuts doivent être déposés d’ici peu. "J’en serai le président", annonce Sisa Koyamaibole.
Vers un système d’accréditation pour les agents ?
Dans le modèle imaginé par Tabua et Koyamaibole, une communication continue permettrait d’identifier d’éventuels dysfonctionnements ou promesses non tenues, car si "FRPA" veut bien cadrer le départ de ses mômes, l’Association aimerait aussi pouvoir contrôler la liste des agents autorisés à venir travailler sur le territoire fidjien. "L’idée serait qu’ils aient, au préalable, été certifiés et accrédités par l’Association, se projette Ilivasi Tabua. Ça nous permettrait de voir ce qu’ils font et quels sont les joueurs qu’ils veulent recruter." Pour ensuite, grâce à un suivi méticuleux, identifier les intermédiaires qui mettent les jeunes fidjiens dans les conditions optimales pour réussir. "J’aimerais que les agents puissent collaborer avec notre Association pour bien gérer les joueurs", ajoute Koyamaibole
Des discussions avec le ministère du travail, pour mettre en place ce système, ont déjà commencé. L’Association, qui aimerait plus de contrôle sur les lettres de sortie adressées aux joueurs fidjiens, veut aussi rencontrer l’ambassade de France pour avancer main dans la main sur l’attribution des visas. "Beaucoup de joueurs arrivent en France avec un visa de tourisme. Nous aimerions donc voir s’il existe un visa de travail ou un visa sportif permettant vraiment de dire que nos jeunes viennent dans le cadre de ces contrats", demande Koyamaibole. Arrivé en France en 2008, ce dernier a connu une belle et riche carrière dans le Top 14. Il a porté les couleurs de Toulon, Lyon, Bordeaux-Bègles et Brive, où il a d’ailleurs disputé plus de cent matchs. C’est aussi parce que la France lui a donné une chance inouïe de vivre de son métier, avec des conditions financières bien plus avantageuses qu’aux Fidji, que l’ancien numéro 8 veut que les générations futures puissent, elles aussi, tenter le coup. Mais pas dans n’importe quelles conditions.